Des puces s'infiltrent dans les musées !


L'identification des œuvres par la RFID pour en améliorer la traçabilité

Les musées de Poitou-Charentes se sont équipés d’une solution de traçabilité des collections par radio-fréquences. Forts du réseau de musées Alienor.org Conseil des musées qui avait déjà précédemment adapté pour eux des technologies issues d’autres secteurs ou d’autres industries (avionique, pharmaceutique…) en les appliquant aux besoins et contraintes des musées, les musées ont décidé en 2008 de chercher une solution à l’identification des collections.

L’objectif de cette démarche était, dans le cadre de la première campagne de récolement des collections des Musées de France initiée par la loi musées de France de 2002, de trouver un outil qui faciliterait la tache répétitive d’inventaire et de récolement, mais surtout de systématiser le suivi des déplacements en rendant la manipulation aussi simple que possible afin de limiter au maximum les écarts entre emplacements théoriques des objets et réalité. La loi impose notamment à tous les musées labellisés Musées de France de localiser chacun des objets de leurs collections une fois par décennie. Si l’enregistrement de chaque déplacement d’œuvres est mieux maîtrisé et plus systématique, les récolements ultérieurs n’en seront que facilités.

Le Conseil des musées s’est donc tourné vers une technologie d’identification à la fois bon marché, éprouvée et répandue et a proposé l’identification par radio-fréquences (ou RFID, de l’anglais radio frequency identification) aux musées.

Les tags RFID peuvent être identifiés à travers les contenant, tant qu'ils ne sont pas en métal

Les avantages de la RFID

La RFID est déjà très répandue dans les secteurs de la grande distribution (antivol), de l’identification (pass pour les transports collectifs, les forfaits de ski, le télépéage, tatouage électronique des animaux…) et de la sécurité (badge d’accès, passeport). Par rapport à l’identification par code barre, la RFID présente de multiples avantages : avant tout la détection au travers des matériaux. Il n’est ainsi plus nécessaire de visualiser l’étiquette pour l’identifier. On peut donc laisser l’objet dans son contenant, sa boîte, son sachet ou l’étiquette à l’intérieur même de l’objet… du moins tant que celui-ci n’est pas en métal, les ondes s’affranchissant difficilement de ce matériau ! En limitant les manipulations de l’objet lors de son identification, on favorise ainsi la conservation préventive de l’objet. Autre avantage de taille, la possibilité de détection multiple : plusieurs étiquettes, ou tags, peuvent être détectés et donc identifiés en même temps (fig. 1).

Le choix a également été fait de ne pas dissocier l’étiquette de l’objet. L’étiquette est apposée, tant que cela est possible, directement sur l’objet et non pas sur un contenant ou une étiquette à fil. Cela pose évidemment des contraintes en termes de conservation préventive puisque ni l’étiquette, ni la colle qui permet de la fixer à l’objet ne doivent présenter de risque pour celui-ci. Cela permet cependant d’assurer la pérennité du marquage et de permettre d’exploiter la technologie comme antivol.

Les limites de la RFID

Parce qu’il y en a, forcément ! Comme précédemment évoqué, un tag RFID ne peut pas être apposé sur du métal, ni à l’intérieur d’un contenant en métal. En effet, les ondes ne passent pas au travers de ce matériau. C’est pourquoi il a fallu se doter de tags spécifiques, notamment pour le mobilier des réserves, très souvent en métal.
Une autre contrainte est le prix unitaire de certains tags spécifiques et les quantités minima commandées : 10.000, voire 100.000 pièces minimum pour certains tags très spécifiques ou des prix unitaires prohibitifs pour des quantités trop faibles. Impossible pour un musée isolé de se fournir, il a donc été nécessaire de mutualiser les commandes pour l’ensemble des quarante-et-un musées du réseau.

Un tag RFID fixé sur un galon cousu à une coiffe. Le numéro d'inventaire traditionnel est inscrit sur le tag.

Enfin, la pose elle-même sur les objets. Le marquage des objets doit être réversible, les tags doivent donc pouvoir être retirés. C’est pourquoi sur le conseil de restauratrices qui ont étudié les contraintes et fourni un rapport détaillé, des recommandations de pose ont pu être prodiguées aux musées. Des étiquettes ont été réalisées sur mesure, respectant les contraintes de conservation préventive. Les étiquettes sont donc fabriquées en matériau neutre et sans colle ni solvant.

La taille des étiquettes reste également supérieure à celle d’un marquage traditionnel à l’encre de chine. En effet, les étiquettes doivent conserver une taille minimum (environ 30mm minimum par 10mm) pour être détectées à une distance jugée suffisante (une quarantaine de centimètres). Certains objets, suffisamment grands pour être marqués au stylo mais pas assez pour recevoir un tag RFID, ne peuvent donc porter une étiquette ; c’est alors le contenant ou bien une étiquette à fil type bijoutier qui sont « pucés ».

L'ensemble de la solution RFID des musées de Nouvelle-Aquitaine : des tags RFID, la tablette avec notre application dédiée et son lecteur RFID

La solution

Les étiquettes RFID ne permettant pas à elles seules d’identifier les œuvres, une application doit les mettre en relation. Les musées de Poitou-Charentes effectuent déjà leur inventaire dans une base de données commune ; une application sur tablette, synchronisée avec cette base de données, permet d’affecter aux objets les étiquettes RFID, de suivre chacun des mouvements d’œuvres ou de rechercher un objet dans le musée ou les réserves. Les opérations effectuées sont synchronisées en fin de tâche avec la base de données.
La solution se compose d’une tablette tactile sur laquelle est installée l’application, d’un lecteur RFID et des étiquettes RFID qui sont commandées en nombre par le Conseil des musées puis réparties en fonction des besoins aux musées du réseau (fig. 3). Les prix unitaires des étiquettes imposent en effet de globaliser les fabrications.

On pose des puces sur les objets... mais pas que !

Pour systématiser le suivi des mouvements d’œuvres, il fallait rendre l’opération la plus simple possible. On appose ainsi un tag sur l’objet, mais aussi sur les emplacements d’œuvres : étagères, casiers, vitrines… Pour enregistrer un mouvement, il suffit d’identifier l’étiquette de l’objet puis l’étiquette de son emplacement et le « tour est joué », une dizaine de secondes suffit.

La pose des étiquettes RFID sur les objets présente évidemment des difficultés. Il faut réfléchir précisément à la manière de ne pas nuire à l’objet, choisir une colle de conservation en fonction du support, l’apposer sur un contenant si la colle n’est pas envisageable, enfiler l’étiquette dans un galon cousu sur un textile, autant de cas de figures que d’objets. En attendant que les objets soient tous marqués, ou du moins ceux pour lesquels cela est possible, on peut utiliser l’application mobile sans requérir d’étiquette RFID ; on continue alors à utiliser le numéro d’inventaire.

Les étiquettes RFID sont généralement constituées d’un support en PET (polytéréphtalate d'éthylène), d’une puce et d’une antenne. Les contraintes de conservation spécifiques aux collections muséales ne permettent pas d’utiliser des tags standards ; des tags spécifiques (neutres, sans PET, sans solvant ni colle) ont donc été développés spécialement pour y répondre, avec le fabricant Tageos qui nous a accompagné sur ce projet.

La mise en place

Le projet a mis du temps à aboutir. Les contraintes sont nombreuses et la technologie évolue très vite. Les musées ont néanmoins accueilli ce nouvel outil avec enthousiasme, bien qu’ils soient conscients de l’ampleur du travail qui les attend. La première phase consiste à identifier les emplacements d’œuvres -meubles, racks, vitrines, etc. - mais celle-ci ne présente presque aucune difficulté ; la seule contrainte consiste à dissimuler les étiquettes sur le mobilier des salles visitées par le public afin de les rendre invisibles. Ensuite seulement viendra l’étape d’identification des collections, nécessitant de réfléchir au cas par cas à la méthode de pose et à l’emplacement de l’étiquette.

Début 2017, l’appropriation de la solution RFID par les musées du réseau s’est faite selon différents niveaux. Certains progressent lentement faute de temps ou de personnel dûment formé, d’autres ont identifié tous leurs emplacements avec des tags, quelques-uns ont même marqué la quasi-totalité de leurs collections.

Un agent des réserves intercommunales des musées de l'île d'Oléron en train de poser une étiquette RFID sur un objet des collections L'étiquette RFID une fois fisée sur un objet des collections des musées de l'île d'Oléron Une étiquette RFID apposée sur l'arrière du cadre d'un tableau du musée Bernard d'Agesci de Niort Le lecteur RFID permet de détecter toutes les étiquettes à portée ; l'application peut ainsi identifier tous les objets "pucés" présents sur l'étagère Différentes étiquettes utilisées pour le marquage des œuvres (sans colle) et des emplacements (préencollées) 

Pour conclure

L’outil RFID appliqué aux collections est indubitablement pratique et fonctionnel. Il facilitera très certainement le prochain récolement grâce notamment à la détection multiple aboutissant au final à un précieux gain de temps.

L'expérience du musée de l'île d'Oléron

Comme outil appliqué au marquage des collections patrimoniales, la RFID présente de nombreux intérêts, aidant pleinement le travail scientifique d’inventaire, la gestion et le mouvement des œuvres qu’il soit interne ou externe.
Le musée de l’île d’Oléron et la maison paysanne, gérés par la Communauté de communes de l’île d’Oléron, disposent depuis 2009 d’une nouvelle réserve externalisée mutualisée d’une surface de 1200 m2. Le musée de l’île d’Oléron est l’un des quatre établissements pilotes avec Niort, Poitiers et Châtellerault à avoir testé de 2009 à 2014 le marquage et la traçabilité des collections RFID. Chacun de ces musées possédant des caractéristiques distinctes de typologie de collections et de réserves, des phases de tests en cas « réel » ont été programmées et les retours riches en échanges et débats. Le matériel a été testé individuellement sur parfois de longues périodes. Durant plusieurs années, les problématiques rencontrées ont été identifiées puis résolues. À titre d’exemple, à Oléron, les rayonnages de conservation à tablettes tôlées, entièrement métalliques, perturbaient la détection des tags classiques RFID ; des tags spécifiquement conçus pour les supports en métal ont donc été utilisés. Il importait aussi de suivre la rapide évolution technologique. Des changements de solution ont parfois été importants mais cette étape de tests a été cruciale ; les membres du comité de pilotage étant conscients des responsabilités que pouvait engendrer le déploiement, à l’ensemble des musées adhérents, d’un système non adapté voire défaillant. À la fin de l’année 2014, les choix ont été opérés pour décider définitivement du fonctionnement de l’application, de la solution matérielle (tablette et douchette de lecture) adéquate, du choix des tags RFID.

La mise en œuvre
En 2015, le matériel ainsi que les étiquettes RFID ont été délivrés afin que les équipes des musées s’emparent du système et le mettent progressivement en œuvre. Pour ce faire, une formation d’une journée in situ a été animée par un membre du personnel du Conseil des musées. Le fait d’avoir été musée pilote sur le projet a facilité l’appropriation rapide de cet outil (tablette, et douchette de lecture RFID…) avec lequel le régisseur des collections (recruté en 2011 par la collectivité) s’était progressivement familiarisé. Naturellement, disposer d’une réserve récemment conçue pour gérer d’une manière optimale les collections a constitué un élément fondamental aidant considérablement le travail de gestion des emplacements d’œuvres.

L'apport de l'application
Grâce au WIFI, l’utilisation de la tablette tactile permet de circuler aisément dans les espaces de la réserve et ne nécessite aucun branchement internet. Malgré quelques dysfonctionnements parfois constatés lors du chargement de la base de données de l’application (mise à jour du thésaurus emplacement par exemple), il faut souligner son ergonomie, simple et intuitive et dotée d’une interface claire et facile à prendre en main par tous.
Les opérations de synchronisation en fin d’opération avec la base de données peuvent être parfois vécues comme une lourdeur, toutefois elles permettent une double vérification avant enregistrement et garantissent une double sécurité de la sauvegarde des données sur un serveur externe.

La pose des tags
La pose des tags RFID sur le mobilier de conservation (tiroirs, racks, rayonnages…) ne pose aucune difficulté. Aussi, tagger l’ensemble des emplacements des œuvres se concrétise très rapidement. Cela suppose, cependant, de disposer d’un thésaurus lieu suffisamment logique.
Par contre, en ce qui concerne les objets, il est nécessaire de mener, en amont, une réflexion sur le positionnement exact des étiquettes RFID et la manière dont elles seront apposées. Au sein de la collection ethnographique du musée de l’île d’Oléron, une grande diversité de matériaux existe, des plus résistants aux plus fragiles.

Il convient donc de réfléchir soigneusement devant chaque cas : la figure 4 montre par exemple la pose de tag sur un vase. De même, une étiquette bien que fixée sur une bride en cuir à l’intérieur d’un casque de pompier en cuivre, ne fonctionnera pas en raison des ondes qui ne traversent pas le métal.
L’outil est pratique en ce qui concerne les mouvements d’œuvres (internes ou externes). Le repérage d’un objet parmi les 10.000 que conservent la réserve muséale est aisé. Effectuer un mouvement d’œuvres n’est pas compliqué que ce soit pour l’enregistrement au départ ou au retour de l’objet.

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