Jean-Charles de Borda est né à Dax le 4 mai 1733, dans une famille de bonne noblesse qui comptait des militaires et des magistrats. Il fait d’excellentes études chez le Barnabites de Dax puis chez le Jésuites de la Flèche, où il révèle des dons pour la mathématique et la géométrie, ce qui attire l’attention de d’Alembert, si bien qu’en avril 1753 (il a 20 ans) il est nommé correspondant de Réaumur à l’Académie des Sciences.
Officier des Chevau-Légers en 1755, il rédige un mémoire « Sur la courbe décrite par les boulets et les bombes, en ayant égard à la résistance de l’air », lu à l’Académie des Sciences. Ce travail est jugé excellent, et Borda est nommé adjoint géomètre de cette institution. Lorsque la guerre de Sept Ans éclate, il est aide de camp du maréchal de Maillebois en 1757. A Dunkerque, il découvre la mer, les navires, les problèmes de leur construction, de la résistance des fluides et de la navigation. Il aborde ces questions sans idées préconçues, avec un cerveau dégagé de toute routine, et se passionne pour les problèmes scientifiques liés à la navigation et à la construction navale.
Le 4 septembre 1758 il est admis à l’Ecole du Génie de Mézières, puis affecté à Brest. Sa vocation maritime s’affirme. Il s’attire la sympathie du commandant de la Marine Aymat-Joseph comte de Roquefeuil, un des créateurs de l’Académie de Marine, qui lui confie des recherches sur la construction de vaisseaux. Le 1° octobre 1767 Borda est nommé au grade de lieutenant de vaisseau et de port, affecté à Brest. Il lui faut acquérir l’expérience de la mer, c’est pourquoi il embarque en 1768 comme Lieutenant de vaisseau surnuméraire, sur la flûte la Seine, qui part pour la Martinique. C’est une expédition de 5 navires différents par leur construction et leur constructeur, dont il faut étudier en mer les avantages et les inconvénients. Borda travaille sur les pompes marines et sur la force des cordages. Le 24 avril 1769, il est nommé membre ordinaire de l’Académie de Marine qui siège alors à Brest.
Au XVIIIème siècle un des problèmes des plus essentiels qui se posait aux marins, était celui du calcul de la longitude en mer, problème sur lequel on buttait faute d’horloge suffisamment précise et robuste, capable de conserver l’heure du lieu de départ. Diverses méthodes, comme celle dite des distantes lunaires, avaient été mises au point, mais elles nécessitaient des calculs très complexes.
Partout en Europe des horlogers travaillaient à la fabrication de véritables chronomètres. Leroy et Berthoud en France y parviennent, mais il faut expérimenter leur invention en mer. Ce sera l’objet d’une campagne décidée par le Roi, avec la frégate la Flore en 1771 commandée par le lieutenant de vaisseau Jean-René-Antoine de Verdun marquis de la Crenne.
Le bâtiment embarque deux commissaires désignés par l’Académie de Sciences (le Chevalier de Borda et le chanoine Pingré), un état-major composé de plusieurs savants (l’enseigne de vaisseau Granchain de Sémerville, l’astronome Jacques Mersais, le dessinateur Pierre Ozanne), trois horlogers (Le Roy, d’Arsandeaux et Fyot) et six chronomètres de Leroy, Berthoud et Arsandaux.
La frégate part de Brest le 29.10.1771, visite successivement les côtes d’Espagne, d’Afrique jusqu’au Cap Vert, les Açores, Madère, les Canaries, Tenerife, les Antilles (Martinique, Saint-Domingue), Terre Neuve, Saint-Pierre et Miquelon, le banc de Terre Neuve, l’Islande, les îles Féroë, les côtes de Norvège, Copenhague, Dunkerque, et rentre à Brest le 8 octobre 1772.
Borda a rempli les fonctions d’officier en second, et on sait que c’est lui qui a fait l’essentiel du travail scientifique. Non seulement on a mis à l’épreuve les chronomètres, mais on a sérieusement amélioré les cartes hydrographiques de certains parages. De plus, Borda a profité du passage aux Canaries pour mesurer le point culminant de l’archipel (le Pic de Teyde), mesure qu’il refera en 1776 avec des instruments améliorés.
Les résultats de cette expédition sont publiés en 1778, mettant en lumière le succès de la mission : « Voyage fait par ordre du Roi en 1771 et 1772, en diverses parties de l’Europe, de l’Afrique et de l’Amérique… suivi de Recherches pour rectifier les cartes hydrographiques » .
Pendant son absence, Borda est nommé pensionnaire géomètre à l’Académie des Sciences, et Roquefeuil intervient auprès du ministre Bourgeois de Boynes pour le faire nommer Inspecteur général des constructions navales ; on n’accède pas à cette demande, mais Borda devient dès lors conseiller technique du ministre, pour les questions de construction. Son autorité dans ce domaine est reconnue, puisqu’en 1775 l’Académie de Marine lui confie, en compagnie de Duhamel du Monceau et de Bigot de Morogues, l’examen avant impression du « Traité sur la construction des vaisseaux » du capitaine de vaisseau Dumaitz de Goimpy.
Borda a profité du voyage sur le Flore pour penser un nouvel instrument destiné à mesurer la hauteur des astres : son fameux cercle de réflexion. De 1772 à 1775 il le construit avec l’aide d’Etienne Lenoir, ingénieur en instruments d’optique de physique et de mathématiques.
Jusque là, les mesures en mer se faisaient par l’observation du ciel nocturne, le déplacement de ses astres servant d’horloge universelle. Il fallait faire de très longs calculs, pour arriver souvent à des données d’une exactitude insuffisante. Les erreurs venaient aussi des instruments de mesure manquant de précision (sextants et octants). En répétant chaque mesure le long d’un limbe circulaire, on diminuerait les erreurs dues aux imprécisions de la gravure sur le limbe.
Alors qu’il poursuit ces travaux, Borda reçoit de l’Académie des Sciences le commandement de la frégate la Boussole en tant que lieutenant, pour une mission à la fois hydrographique et scientifique : il faut soumettre les chronomètres à de nouvelles épreuves, et améliorer les cartes marines en particulier celle des parages des Canaries (à cette époque la plupart des Européens comptaient les longitudes à partir de l’île de Fer, la plus occidentale des Canaries). La Boussole et le lougre l’Espiègle quittent Brest le 20 mai 1776.
Borda accompli sa mission, mais aussi évalue son cercle encore expérimental, par de nombreuses mesures de triangulation, notamment la mesure du point culminant de l’archipel, le pic de Teyde (3715 m ). Il fait cette ascension avec 10 officiers, le dessinateur de la Marine Pierre Ozanne, le Comte Consul de France aux Canaries, des matelots, des guides, au total une quarantaine de personnes. Borda mesure depuis le sommet au moyen de deux baromètres à mercure (1929 toises, soit 3759.62 m) ; il reprend ses calculs par triangulation (10423 pieds et 11116 pieds, soit 3377.052 m et 3601.584 m). Les premiers calculs se révèlent les plus exacts. Quant à la précision du cercle de réflexion, elle est de 4 à 5’’, meilleure que celle des meilleurs sextants.
Cette campagne vaut à Borda, la Croix de Chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis. Le 27.01.1777 l’Académie de Marine achète un cercle de Borda.
De février 1777 à février 1778, Borda est à Paris pour coordonner ses travaux et les résultats de ses études dans ses campagnes de la Flore et de la Boussole ; le résultat de ce travail est connu en 1787 avec la publication de « Description et usage du cercle de réflexion… ».
L’expérience de la mesure du pic de Teyde interroge Borda sur les possibilités qu’offrent les baromètres. Aussi en 1778 lui et son ami Blondeau mettent sur pied des observations simultanées à Brest, Paris, Strasbourg, Lorient et Rochefort. Ces observations sont faites aux mêmes jours et heures, dans des lieux différents, par des physiciens exacts, et multipliées durant quinze jours. Borda constate que le baromètre a les mêmes variations, successivement, suivant la direction et le force du vent. N’ayant pas la possibilité de poursuivre ces recherches, il en parle à Lavoisier qui se propose pour reprendre cet essai. Les deux hommes mettent en place un plan méthodique, des baromètres sont distribués, mais pris par leurs charges respectives, ils ne peuvent exploiter ce projet. Ce sont les prémices de la météo.
La guerre d’Indépendance des États-Unis va donner à Borda l’occasion d’exercer une nouvelle activité, celle de combattant à la mer. En 1778 le vice amiral d’Estaing est nommé au commandement d’une escadre de 12 navires, envoyés de Toulon vers l’Amérique ; il choisit Borda comme lieutenant de vaisseau, major de l’escadre et intendant. D’avril 1778 à décembre 1779 le résultat de cette campagne aux environs de New York, est décevant, mais la responsabilité en revient à d’Estaing, très inférieur à sa tâche ; Borda quant à lui s’acquitte parfaitement de ses fonctions, plus administratives qu’opérationnelles. Le 13 mars 1779, il est promu capitaine de vaisseau, et reçoit le 01.07.1780 une pension de 1000 livres sur le Trésor royal, par laquelle Louis XVI lui exprime sa satisfaction des services rendus en Amérique.
De retour en France, Borda peut se consacrer à un nouveau projet : la standardisation des navires de guerre. Dès 1765, à Brest, Borda avait travaillé à la conception d’un navire de 64 canons l’Artézien. Sa participation à la guerre d’Indépendance lui a permis d’observer sur le terrain les navires existant alors, notamment l’Annibal, excellent vaisseau de 74 canons conçu par l’ingénieur Jacques-Noël Sané. Pour Borda il faut supprimer les vaisseaux de 50 et 64 canons, trop faibles pour entrer en ligne, en construire de 3 catégories (le plus petit portant 74 canons) suivant des formes et proportions qu’il aura fixées. Le principe de standardisation et d’uniformisation permettra de faciliter les réparations et les rechanges des navires dans n’importe quel port de France.
En octobre 1780, le maréchal de Castries est nommé ministre de la marine, qu’il veut réformer en profondeur avec par exemple la standardisation des navires. Il s’entoure d’un état major d’officiers, dont le chevalier de Fleurieu, Latouche-Tréville, Verdun de la Crenne, et Borda. L’Annibal de J. N. Sané est choisi pour être le 74 canons-type ; Borda a certainement participé à cette décision. De 1782 à 1783 sept 74 canons vont être construits (l’un entre eux s’appelle déjà Borda).
Le 7 juillet 1782, on confie à Borda le commandement d’une petite division de 6 navires, pour porter des renforts en Martinique, puis croiser dans les parages contre le commerce ennemi. Au cours d’une de ces patrouilles au large de la Barbade, il tombe sur une escadre anglaise. Pendant 3 heures il soutient leurs attaques, permettant aux autres navires de sa division d’échapper. Mais bientôt Borda amène son pavillon. Prisonnier des Anglais, il est traité avec la plus grande distinction, en raison de sa bravoure et aussi de sa réputation universelle ; il est même autorisé pendant sa détention en Angleterre, à faire un voyage à Copenhague. A son retour en Angleterre, il est libéré sur parole et renvoyé en France.
La paix revenu, Borda peut se consacrer à nouveau à la standardisation des navires de guerre. En 1786 il lance un concours pour un vaisseau trois-ponts de 118 canons, dont il fixe les caractéristiques. Borda propose de choisir le projet de J .N. Sané, qui s’est inspiré du plan type du 74 canons. Sans attendre un vaisseau est mis en chantier. En 1787, un nouveau concours est lancé pour le plan type d’un 80 canons. Borda établit le cahier des charges en juillet, et le 29 novembre il propose de retenir à une fois de plus un plan de l’ingénieur J. N. Sané, qui est une nouvelle extrapolation de son 74 canons. Borda a ainsi réduit à trois types nos vaisseaux, a fixé leurs principales caractéristiques en choisissant judicieusement les plans dressé par Sané. Le renouvellement du matériel naval du royaume est aussitôt engagé sur un rythme soutenu. Les 74, 80 et 118 canons français seront jugés comme étant les meilleurs des flottes de guerre européennes. Ces plans types de vaisseaux vont rester valables pendant un demi siècle, jusqu’à l’avènement de la vapeur et la construction navale en fer.
L’activité de Borda s’étend aussi aux questions administratives puisqu’il fut, avec Fleurieu et Verdun de la Crenne, l’un des concepteurs du Conseil de Marine, chargé de discuter, interpréter, maintenir les Ordonnances et Règlements, et examiner les dépenses. Ce Conseil créé en mars 1788 sera supprimé par les autorités révolutionnaires avant qu’il ait pu porter ses fruits.
En 1789 au moment où partout on prépare les États Généraux, tous les hommes des branches de la famille Borda sont présents à Dax, sauf Jean-Charles, tout simplement parce qu’il ne possède aucun bien, apanage, seigneurie, dans la Sénéchaussée des Lannes. En 1790 Jean-Charles reçoit de son cousin Borda Josse, une gentilhommière et des terres à Sanguinet, un quartier du village de Mimbaste. Vers la fin de sa vie, pour pouvoir publier ses tables de logarithmes et n’ayant pas d’argent, Borda emprunte 10 000 livres et donne en gage ses biens de Sanguinet ; bientôt il doit les vendre.
En 1789 lors de la rédaction des Cahiers de Doléances, une des demandes qui revient avec insistance, est celle de l’uniformisation des poids et des mesures, sur l’ensemble du territoire, pour éviter fraudes et injustices.
En 1790 Talleyrand présente un projet d’unification de Poids et Mesures à l’Assemblée Constituante. Une Commission est nommé par l’Académie de Sciences pour la mise en œuvre de ce projet ; en font partie, Borda, Lagrange, Tillet et Condorcet ; ces hommes rendent leur premier rapport le 27.10.1790, qui préconise un système décimal pour les poids, les mesures et les monnaies.
Le 19.03.1791, Borda, Lagrange, Condorcet, Laplace et Monge, présentent un rapport mettant en valeur le choix d’une unité fondamentale : il s’agit de mesurer le méridien terrestre de Dunkerque à Barcelone, qui passe par l’Observatoire de Paris, et appelé la Méridienne de France (les dimensions de la terre ne peuvent pas bouger, et appartiennent à tous les hommes : Condorcet défend l’universalité de cette démarche scientifique). A partir de cette mesure on établirait une fraction (la dix millionième partie de l’arc méridien terrestre compris entre le pôle boréal et l’équateur), servant à toutes les autres mesures possibles, de volume, et de poids. Borda, Condorcet, Lagrange et Lavoisier forment la Commission centrale chargée de diriger les opérations nécessaires pour la détermination des étalons de mesure, poids, volume.
Borda et Coulomb sont chargés aussi par l’Académie de la détermination de la longueur du pendule à secondes (il s’agit de déterminer la longueur que doit avoir le fil d’un pendule, pour couvrir un angle de 45° en une seconde ! ! !). Ces recherches, qui ont débuté dès 1790 pour Borda, Coulomb et Cassini fils, sont malgré tout abandonnées, car le choix de cette longueur « renferme en elle-même quelque chose d’arbitraire » d’après le Chevalier.
Méchain et Delambre sont chargés d’aller sur le terrain mesurer la Méridienne de France : le nord pour Delambre, le sud pour Méchain. Les instruments dont ils ont besoin (des cercles répétiteurs de Borda) sont construits entre 1791 et 1792, et ils partent en Juin 1792, juste avant que n’éclatent les premiers troubles graves de la Révolution. Ils reviendront avec leurs calculs et leurs mesures exactes en 1799, si bien qu’en 1795, Paris s’impatiente et crée un mètre provisoire, construit par Lenoir.
Les lois du 1°.08.1793 et 07.04.1795 ainsi que leurs décrets, retiennent une nomenclature méthodique : l’unité de longueur est le mètre, celle de poids le gramme, celle des liquides le litre ; le nom du mètre serait dû à Borda.
Malgré l’émigration en masse des nobles de France, Borda est protégé par son ami mathématicien Monge, Ministre de la Marine, et peut rester à Paris. En 1793 il est toutefois écarté de la commission qui devait, doter la France du système métrique. Après la Terreur, Borda retrouve la commission des poids et mesures.
La santé de Borda décline depuis sa participation à la guerre d’Indépendance. Durant les années 1790 il surmonte la maladie pour mener à bien ses nombreuses charges. Jusqu’au dernier moment il tient à remplir ses fonctions de directeur de l’École des Constructions navales où, selon le témoignage du baron Tupinier, qui fut un des ses derniers élèves, il accueillait les jeunes ingénieurs avec une affabilité « toute paternelle malgré les souffrances auxquelles le condamnait la maladie dont il mourut peu de temps après ».
Le 19 février 1799 Borda s’éteint d’une « hydropisie de poitrine ». Le « Moniteur universel » lui consacre une notice qui met en valeur « la profondeur de sa science, l’éminence de son talent » et lors de ses funérailles, son ami Bougainville le décrit comme « l’homme vraiment bon, l’ami sûr, l’homme du monde tellement aimable qu’on eût pu croire qu’il ne s’était toute sa vie occupé que de littérature et des arts de pur agrément ». Son ami, Lefèvre-Gineau, collègue à l’Académie des Sciences, a dit de lui « il avait une facilité surprenante à saisir les objets, un esprit extraordinaire de détails, une précision rare dans les idées ». .. Il m’était « peu de prix à la célébrité, mais beaucoup à la gloire d’avoir été utile aux hommes ».
Les titres de gloire de Borda dans le domaine de la normalisation des unités de mesure, ne viennent pas de son appartenance aux commissions mises en place, mais au fait que c’est lui qui a imaginé les instruments et les méthodes nécessaires, c’est lui qui les a expérimentées sur le terrain (aux Canaries), et cela au cours des années 1790, malgré ses problèmes de santé. Borda ne pourra voir l’impact fondamental de ses travaux dans la vie des sciences et au quotidien, puisque c’est la loi du 19 frimaire (10.12.1799) qui fixe définitivement la longueur du mètre et des autres unités, lorsque Delambre et Méchain rentrent enfin fini leur périple de Dunkerque à Barcelone.