Ce fusain daté de 1867 est l’esquisse d’un tableau qu’Alfred de Curzon réalisera neuf ans plus tard pour le Salon de 1876 et qu’il intitulera Le champ des morts la nuit à Constantinople. La toile, conservée dans la famille de l’artiste semble, au regard de la description qu’en fait le critique A. Darcel (Journal de Rouen, 1876) avoir conservé en grande partie la composition du fusain : « Le Champ des morts à Constantinople de M. Curzon, ne fait pas grand tapage. Mais quel calme dans cette nuit transparente de l’Orient, et quel mystère. Les dalles funéraires s’allongent lumineuses parmi les tiges élancées des noirs cyprès, et au fond la mer bleue se confond avec les nuages qui s’éclairent et blanchissent en se rapprochant du zénith. Une femme vêtue d’une ample robe bleue sombre, couchée au pied d’une tombe, anime seule cet asile de mort » (cité par Th. Thomas, Alfred de Curzon, le dernier des classiques, L’Harmattan, 2021, p.188 et note 22).
Postérieur de quinze années au séjour à Istanbul, (de concert avec Charles Garnier, Edmond About et Théophile Gauthier), le fusain se présente comme un souvenir de ce cimetière ottoman aux marges de la ville, dont Curzon décrivait l’atmosphère lorsqu’il le visita fuyant le brouhaha des rues du quartier de Péra : « Fatigué de ses vilaines rues de Péra, pleines de monde et de bruit, je me réfugiais dans les champs des morts, bois de cyprès, cimetières profanés par leur position dans la ville, passage continuel de toute espèce de gens. A cotés des Grecs étendant leur linge au soleil, je rencontrais une famille turque assise autour d’une tombe que fermai le fossoyeur. Dans les endroits les plus écartés, des chiens féroces aboyaient à mon approche, du fond d’une tombe où ils dévoraient le mort. Le soir, le beau monde de Péra vient en grand nombre au petit champ des morts, prendre le café et écouter des symphonies exécutées par des réfugiés italiens et hongrois (lettre de Curzon à M. Cardaillac, 4 septembre 1852, cité par H. de Curzon, t.1, p. 140). Si ce souvenir pittoresque concorde avec maints récits de voyageurs étrangers du 19e siècle (cf. Julia Pardoe, The city of the Sultan, Londres, vol.2, 1838, ou Charles White, Thee years in Constantinople or Domestic manners of the Turks in1844, vol. 1, London, Colburn, 1854), la scène que présente le fusain distille quant à elle une sourde mélancolie qui imprègne toute la composition, s'opposant à ces souvenirs bucoliques et animés. Ici Alfred de Curzon a choisi une vue nocturne, sombre et silencieuse, baignée d'une lumière lunaire. Les silhouettes des minarets de Sainte Sophie de l’autre côté du Bosphore, que l’on aperçoit en arrière-plan, font écho aux silhouettes élancées des cyprès des premiers plans, occupant presque la totalité de la composition. Le motif de ces grands troncs dénudés ou feuillus, présente une maîtrise et un effet esthétique remarquables dans le rendu graphique des branches et des troncs entrelacés, traité sans relief ni volume marqués, (William Hunt fera une aquarelle du même lieu se focalisant également sur les futaies d’arbres, The spleeping City : the cimetery of Pera Constantinople, 1856-1888, Oxford, Ashmolean Museum).
Dans ce paysage solitaire peuplé d'arbres et de tombes, une seule figure humaine demeure : une femme, enveloppée d'un vêtement blanc, prosternée au pied d’une pierre tombale et absorbée dans sa prière et son deuil. Le charme triste et prégnant de la scène, remplie d’une poésie élégiaque et funèbre confère au fusain une sobriété dénuée de toute référence aux poncifs de l’orientalisme ou du pittoresque ethnographique ou romantique que l'on retrouve habituellement dans les compositions sur le même thème exécutées vingt ans auparavant dans les années 1840 comme celles par exemple gravées d'après les oeuvres d’un Thomas Allom (cf : Vue du Petit champ des morts vue des hauteurs de Péra in Robert Walsch et Thomas Allom : Constantinople and the Scenery of the Seven churches of Asia Minore illustrated in a Series of drawings from nature by Thomas Allom [...], London/Paris, Fisher, Son & Co.,1836-38 et 1840), ou celles du Journal du temps l’Illustration, ou de celles d’un W.H. Bartlett (The Petit Champ-des-Morts, Pera gravé par J.T.Willmore in The Beauties of the Bosphorus, 1838) ou des gravures d'après E.T. Parris en 1833 (Constantinople from Pera), ou d’un Eugène Flandin (gravure du Petit champ des morts de Péra in l’Orient, Paris, Gidet et Baufry, 1853).
( rédaction de la notice Stéphane Semelier)
9, place Gambetta (cœur de ville)
17310 Saint-Pierre-d’Oléron
Ouvert - dimanche : 14h - 18h
05 46 75 05 16
9, place Gambetta (cœur de ville)
17310 Saint-Pierre-d’Oléron
Ouvert - dimanche : 14h - 18h
05 46 75 05 16
9, place Gambetta (cœur de ville)
17310 Saint-Pierre-d’Oléron
Ouvert - dimanche : 14h - 18h
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Sujet du tableau de 1876.
monogrammé en bas à gauche
(au verso)
(en périphérie, sur la feuille, mine de plomb)
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