Le tableau du " Festin de Balthazar " est un panneau de bois peint à l'huile à la fin du XVIe siècle ou au début du XVIIe siècle. Le peintre n'en est pas identifié, mais peut être rapproché de la famille des Francken, dynastie active à Anvers du XVIe au XVIIIe siècle. Frans II Francken, dirigeant l'atelier au tournant du XVIIe siècle, est lui-même l'auteur d'au moins trois " Festins de Balthazar " authentifiés. Cette scène, au fort potentiel expressif, a connu une faveur importante à cette période, comme en témoigne le nombre de peintures sur ce sujet conservées dans des musées français ou étrangers.
L'oeuvre des musées de Poitiers est une mise en scène de l'épisode biblique relaté dans le livre de Daniel (5, 1-30) : au temps de l'exil des Hébreux à Babylone, le roi Balthazar convie mille dignitaires de son royaume à un festin au cours duquel il profane les vases sacrés que son prédécesseur Nabuchodonosor (605-562 av. J.C.) avait emportés du Temple de Jérusalem. Pendant les festivités, une main, apparue mystérieusement, trace des signes sur le mur. Aucun des mages appelés par Balthazar n'est capable de les interpréter. Seul le jeune Daniel, Hébreu en exil, futur prophète, un des quatre " grands " avec Isaïe, Jérémie et Ezéchiel mais déjà " rempli de l'Esprit de Dieu ", et qui s'était fait remarquer par ses précédentes explications de songes, sait traduire le message : trois mots ont été écrits, " Mané ", " Thécel ", " Pharez ", c'est-à-dire " compté ", " pesé ", " divisé ". Cela signifie que les jours du roi ont été comptés, son âme pesée, et que son royaume sera divisé. La nuit même, Balthazar mourra et ses rivaux s'approprieront son territoire.
La scène prend place dans une salle de réception décorée selon les modes de la fin du XVIe siècle : tentures sur les hautes parois, luminaire abondant formant lustres ou appliques, pyramide de vases et de flambeaux dressée au premier plan… De la même façon, l'étiquette princière contemporaine est décrite : le roi siège sous un dais, les serviteurs défilent ; sur la galerie, des spectateurs assistent aux festivités, tandis qu'en partie droite, une vaste cuisine dévoile les coulisses du banquet. La construction du tableau apparaît comme un jeu de lignes convergentes vers un centre obscur, qui fonctionne comme une allégorie du destin mortel de Balthazar. Le regard du spectateur est aspiré par cette perspective fuyante, focalisée dans une zone sombre que l'oeil peine à identifier : une ouverture sur le ciel nocturne, trouée dans le néant.
D'autres éléments du tableau éclairent cette lecture : l'évocation en filigrane de la mort, qui donne son sens à l'oeuvre, malgré l'effervescence du banquet ; les sentiments peints sur les visages des personnages, de l'incompréhension à l'effroi ; la fausse symétrie entre la partie basse et la partie haute du tableau, où les statues de la galerie apparaissent comme une image de l'humanité souffrante.
Le succès de cette iconographie révèle la faveur de ces scènes nocturnes et festives autant que de leur signification morale : la mise en scène du banquet, la profusion d'ornements et de mets, le jeu des contrastes lumineux concourent à construire une oeuvre allégorique, comme un avertissement aux princes de se garder de l'impiété et du blasphème.