Fabriquée dans la manufacture royale de Mortlake, cette tapisserie a pour thème l’odorat. Elle fait partie de la tenture « Les Cinq sens » qui figure, de manière allégorique, chacun des sens sur un fond bleu ou, comme ici, sur un fond beige écru, teinte claire considérée comme un critère de raffinement. Cette tenture pourrait être symbolique car les sens, associés à l’amour physique, peuvent aussi servir de pont vers la beauté et l’amour idéal, platonique, tel que défini à la Renaissance. Dès lors, les éléments représentés pourraient avoir une signification cachée, au-delà de leur simple aspect ornemental et des allusions aux sens qu’ils incarnent.

Complexe, cette tapisserie est organisée symétriquement autour d’un médaillon central dû à Francis Cleyn (1582-1658). Ce motif figure l’odorat sous les traits d'une femme sentant gracieusement des fleurs alors qu’un chien respire un bouquet posé sur son genou. Autour, sur le fond beige uni et dans la bordure -dont la richesse est caractéristique des productions de Mortlake-, apparaît un fourmillement de fleurs et de motifs, colorés et symboliques.Les singes sont par exemple une image du goût, l’araignée tenue par l’un d’entre eux évoque, elle, le toucher de même que l’escargot, également lié à la sexualité, tandis que les cornes d’abondance chargées de fruits et de fleurs sont des références au goût et à l’odorat. Certains de ces motifs sont des « grotesques », c’est-à-dire des ornements qui semblent bizarres et sont souvent hybrides, comme les formes humanoïdes, tantôt mâles, tantôt femelles, qui pourraient symboliser une union plus spirituelle que physique. Sous des baldaquins, des allégories de l’abondance et de la victoire évoqueraient, elles, un choix à réaliser entre le plaisir et la vertu. Cette séparation entre physique et spirituel serait également soulignée par le contraste entre le médaillon central, qui s’inscrit par sa monochromie rouge rehaussée de fils dorés dans un monde supérieur (l’or étant associé au divin), et les motifs et les bordures colorés qui sont un appel direct aux sens. Les médaillons latéraux de la bordure illustrent, eux, deux fables d’Ésope au sein desquelles les sens sont évoqués : Le paon et la grue à droite et, peut-être, La truie et la chienne faisant assaut d’injures ou La truie et la chienne disputant de fécondité sur la gauche. La représentation de ces fables animales inviterait aussi le spectateur à dépasser une utilisation « bestiale » des sens pour s’élever vers l’amour platonique. L’inscription latine, en bas, pourrait enfin signifier « Que puis-je faire avec un nez que pareillement heurtent les odeurs suaves et imprègnent les pesantes ? », éloge surprenant de l'odorat mais également invitation à utiliser ce sens, considéré comme l’un des plus basiques, pour s’élever.

Acquise de bonne foi par la Ville de Brive avec le soutien de l’État et de la Région auprès d’une galerie d’art en 1995, cette tapisserie s’est avérée avoir fait l’objet d’une vente forcée par les nazis. Installée à Munich, la maison d’art A.S. DREY, dont les propriétaires étaient d’origine juive, a en effet été contrainte de vendre ses collections dans le cadre d’une vente de liquidation chez Paul Graupe le 17 et le 18 juin 1936 ; une tapisserie similaire à celle-ci figurait sur le catalogue de la vente sous le n° 493. En accord avec les pratiques nazies, les collections ont alors été vendues « à vil prix », c’est-à-dire en dessous de leur prix réel, la tapisserie, estimée 4 000 Reichsmark, ayant par exemple été cédée à 1 400 Reichsmark. Hormis un autre passage en vente aux enchères en 1953 à Paris, cette tapisserie disparaît alors et de nombreuses incertitudes demeurent sur son parcours depuis 1936. Néanmoins, grâce à une étude récente conduite par la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (Ministère de la Culture), l’identité entre la tapisserie vendue en 1936 et celle acquise en 1995 par la Ville a été prouvée en 2020. En vertu des principes de la conférence de Washington de 1998 sur les œuvres d’art volées par le régime nazi, un accord amiable a été trouvé en 2021 entre la Ville de Brive et les héritiers de la maison d’art A.S. DREY: ces derniers ont été indemnisés par la commune et la tapisserie figure désormais légitimement dans les collections du musée Labenche et de la Ville de Brive.

Description inventaire réglementaire : tapisserie "L'odorat" de la tenture "les cinq sens", 1ère moitié XVIIe (1630-1636), Manufacture royale de Mortlake (Angleterre), marque "F.C." en lisière, Francis Crane, laine et soie.

Précisions sur les matières et les techniques : Doublure récente en coton.