Précisions sur la genèse
La composition du tableau s'inspire d'une anecdote, contenue dans Un été dans le Sahara, et qui mérite d'être reproduite ici, tant les mots qui la décrivent sont proches de la représentation du tableau :
Je me rappelais avoir rencontré un jour un chef de tribu du Sahara de l'est, rentrant chez lui, suivi d'une escorte assez brillante de cavaliers, et menant en croupe un derviche. Ce chef était un jeune homme élégant, fort beau, et mis avec cette recherche un peu féminine particulière aux Sahariens de Constantine. Le derviche, vieillard amaigri et défiguré par l'idiotisme, était nu sous une simple gandoura couleur sang de boeuf, sans coiffure, et balançait au mouvement du cheval sa tête hideuse, surmontée d'une longue touffe de cheveux grisonnants. Il tenait le jeune homme à bras le corps, et semblait lui-même, de ses deux talons maigres, conduire la bête embarrassée sous sa double charge. Je saluai le jeune homme en passant ; il me dit le bonsoir, et me souhaita les bénédictions du ciel. Le vieillard ne me répondit point, et mit le cheval au trot.
Le tableau, signé en bas à gauche " Eug. Fromentin ", semble stylistiquement dater des années 1860, mais l'auteur en avait déjà conçu la composition lorsqu'il rédigea le texte de son récit en 1854. Tout y est. Le personnage ratatiné semble bel et bien contrôler le cheval depuis l'arrière, éperonnant l'animal sans mot dire, juste après que Fromentin eut salué l'élégant cavalier. Vêtu d'une gandoura couleur sang de boeuf, sa tête aux cheveux longs et ébouriffés est tournée vers la gauche. Dans le tableau, le cheval apparaît sur la rive d'un ruisseau, suggérant une dimension absente du récit : le cavalier a pris le fou en croupe pour lui épargner de passer à gué le ruisseau. Cet élément est déjà implicite dans le récit, où tout le contexte met en valeur la considération montrée dans la culture arabe aux personnes faibles d'esprit (B. Wright).